La Fontaine avait mis en vers les fables d’Ésope ; nous avons l’audace, à notre tour, de mettre en vers français la prose d’Aristote. Ce n’est pas loin d’être tout à fait absurde. Est-ce toutefois plus absurde que de prétendre traduire Homère ou Virgile en prose ?
En fait, les raisons qui nous poussent dans cette étrange entreprise sont tout ce qu’il y a de plus simple. D’abord, nous désirons lire Aristote, parce qu’à l’évidence, il constitue l’un des fondements de toute la philosophie occidentale, et plus généralement de toute la pensée qui s’est élaborée sur ce coin de Terre dans les siècles récents. Mais ensuite, de fait, nous n’y parvenons pas : en français, le texte d’Aristote nous paraît soit trop ardu, soit extraordinairement soporifique ; en grec, le style nous paraît trop heurté, et nous peinons à entendre la voix du philosophe, de celui qui captive et éclaire ses disciples, qui parle avec autorité — quoique nous y devinions une clarté, une fermeté, et un élan nonpareils.
Alors nous décidons de retraduire Aristote, en essayant çà et là de former une prose passable. Mais rien ne vient qui ne soit languissant, alambiqué, voire fumeux. Et puis nous lisons les hexamètres français de Boussard, traduisant brillamment ceux de Lucrèce, lesquels mettaient en latin la prose grecque d’Épicure. Et : pourquoi pas ?
En hexamètres, la philosophie peut gagner en clarté, en méthode et en précision — en magistralité. Or rien de plus propre à la philosophie que le magistral : « Globalement, le signe qu’on sait — ou bien qu’on ignore —, c’est l’aptitude à enseigner. » La magistralité, d’une certaine façon, délimite ce qu’est une véritable science ; et la philosophie, c’est la science des sciences.
Mais notre affirmation peut sembler gratuite, voire paradoxale : la versification n’a-t-elle pas tendance à l’ornement, et donc à l’obscurcissement de la pensée ? N’ajoute-t-elle pas des contraintes qui constituent un corset pour la pensée ? Nous pourrions expliquer en long et en large pourquoi cette idée commune nous paraît être une erreur. Mais l’épreuve décisive, c’est celle que subit notre tentative de traduction quand elle rencontre un lecteur. Ou, mieux encore : des auditeurs. Ce sera à eux d’en juger. Rendez-vous ici, pour le texte, et aux Dionysies 2025, pour le cours, viva voce.
Laisser un commentaire